Le blog de Julien Arbez
06/08/2019
Un fourmilier jurassien
Début Juin, je me rends sur un site des Hautes-Combes qui a vu s’épanouir une nichée de torcols l’an passé. Malheureusement, j’étais arrivé trop tard et les jeunes ont eu vite fait de s’émanciper à travers les pâturages haut-jurassiens… puis l’Afrique !
Cette année, je suis bien décidé à chercher une possible nouvelle nichée. Le torcol est un oiseau atypique. Un oiseau mystérieux, autant que peuvent l’être le grand-tétras où l’aigle royal. Un petit oiseau apparenté aux pics, mais à l’allure d’un passereau. Un oiseau qui passerait facilement inaperçu s’il ne passait pas plusieurs semaines à chanter au printemps. Un oiseau au mimétisme absolu, nichant dans des cavités arboricoles. Un oiseau que les yeux cherchent lorsqu’il se pose sur un tronc. Un trompe-l’œil, une ombre, un soupire dans l’air.
Le torcol est un oiseau farouche, extrêmement discret, habitant habituellement les verges de la plaine. Il aime les milieux ouverts dans lesquels il trouve sa pitance. J’ai observé mon premier torcol l’an passé près d’un petit village voisin, alors que j’affûtais les pies-grièches écorcheurs. L’oiseau s’était posé sur une haute tige de cynorrhodon avant de reprendre sa migration, direction le Sud. La rencontre avait été brève, la surprise énorme.
Me reste pour cette année à revenir sur les lieux de l’an passé, là où les parents torcols finissaient de nourrir les jeunes dans les branches hautes d’une combe d’altitude, et à tendre l’oreille. D’abord pour savoir s’ils nichent à nouveau dans le secteur cette année, et dans un second temps pour tenter de localiser le nid.
Début Juin, je me rends donc dans la combe, silencieusement, et je m’assieds. Au bout d’une bonne heure, j’entends le chant caractéristique de l’oiseau. Bonne nouvelle, il y a au moins le mâle chanteur ! Pour peu que la femelle soit là, l’espèce risque de nicher à nouveau.
Durant 5 heures, j’évolue sur le site et guette les cavités arboricoles. Plusieurs pourraient faire office de gîte, et il ne m’est pas du tout évident d’en privilégier une. J’entends à nouveau chanter le torcol, mais assez loin du bosquet que je prospecte.
C’est vers midi qu’un oiseau vient se poser à côté de moi, sur un grand bouleau. Mais impossible de le retrouver. Ce n’est que lorsqu’il s’envole devant mes yeux que je comprends que j’ai à faire à l’oiseau que je recherche ! Je me lève, me dirige vers le tronc sur lequel il s’est posé. Je découvre une cavité étroite, et une fine plume accrochée sur l’un de ses bords. Je crois bien que j’ai trouvé le nid !
Le torcol fourmilier tire son nom du régime alimentaire qui le caractérise : c’est un dévoreur de fourmis et de leurs larves qu’il va dénicher au sol ou dans les fourmilières, et qu’il extirpe grâce à sa longue, très longue langue fine et collante.
Aussitôt j’installe un affût fixe. 4 piquets, un filet de camouflage, et je file. Je reviens l’après-midi m’installer pour quelques heures d’observation. C’est là que je comprends que j’ai bel et bien le nid devant les yeux, et qu’un adulte en sort tous les ¾ d’heures environ pour s’alimenter 15 minutes, puis revient au nid. C’est sans doute la femelle qui est en train de couver. J’ai les larmes aux yeux. J’espérais trouver le nid, mais je n’y croyais pas vraiment. Aujourd’hui la chance était avec moi ! Durant une dizaine de jours, je viens quotidiennement dans mon affût pour observer les allées et venues de l’adulte qui semble seul.
Jusqu’au jour où le rythme change : les deux adultes désormais font des va-et-vient, les becs remplis de larves et de fourmis rouges. Les petits sont nés ! Jours après jours, les adultes accélèrent le rythme, apportant toujours davantage de fourmis et d’œufs de fourmis, et repartant parfois avec les fientes des oisillons encore invisibles, cachés au fond de la cavité du bouleau maison d’hôtes.
Au bout du dixième jour, les jeunes se font entendre par leurs cisaillements à chaque arrivée d’un adulte. Ils ont dû bien grandir ! Pour preuve, les adultes ne descendent quasiment plus au fond du trou et nourrissent les jeunes depuis la porte d’entrée. De temps en temps ils disparaissent pour quelques secondes dans la cavité pour ressortir aussitôt, un sac fécal dans le bec. Comme peuvent le faire d’autres oiseaux, le torcol récupère les fientes de ses jeunes directement à leur croupion pour les sortir du nid et les éloigner de la nichée. Ceci pour éviter d’attirer des parasites et d’éventuels prédateurs par l’odeur informés !
La plupart du temps, les adultes se croisent sans se retrouver sur le tronc. Mais il arrive que les deux parents arrivent en même temps sur la piste d’atterrissage, communiquent par de brefs cris peu audibles. Alors l’un des adultes patiente sur l’écorce tandis que l’autre nourrit la nichée. Dès que le premier nourrissage est effectué, l’adulte s’envole et le second rend aussitôt le relais. Quelle chance j’ai de pouvoir observer cette espèce dans de bonnes conditions, et d’apprendre in situ un tas de comportements !
Pour varier les prises de vues, j’apporte parfois une tente de camouflage que je déplace, à l’inverse de l’affût fixe qui lui, reste immobile. L’avantage de pouvoir placer ma tente en des endroits qui changent est de profiter au mieux de la lumière, et d’avoir des angles de vues différents pour favoriser les ambiances, ou au contraires les plans rapprochés. Je prends soin de toujours être camouflé pour ne pas effrayer les oiseaux et compromettre la nichée. Je prends garde de sortir au moment opportun (juste après un nourrissage), et de le faire le plus silencieusement possible. La plupart des affûts durent 3 ou 4 heures, et les oiseaux s’adaptent très vite à ce monticule verdâtre qu’ils connaissent désormais parfaitement !
Les jours passent, les observations aussi : écureuils, geais des chênes, pouillots, pics épeiches, rouges-queues et mésanges sont les habitués du secteur. Régulièrement, j’entends les cris des faucons crécerelles qui eux aussi ont vu le jour non loin d’ici. Une vingtaine de jours après leur naissance, les jeunes torcols pointent le bec à l’entrée de la cavité. Les appels sont récurrents, les jeunes s’impatientent. Les échanges de nourriture durent quelques secondes, et se font désormais complètement à l’extérieur du tronc.
Le 16 Juillet à 7h50, après 40 jours d’affûts et une cinquantaine d’heures d’observations, je vois s’envoler le premier jeune de la nichée. D’une traite, il file dans les arbres à une vingtaine de mètres avec une apparente aisance qui m’est déconcertante. J’étais là quand il n’était pas encore né, je suis là pour son premier vol ! Le moment est touchant. Je me concentre sur le second jeune qui pointe la tête à la sortie du trou pour voir son envol que j’imagine imminent. Effectivement ! Mais à l’inverse de son aîné, lui reste sur le tronc du bouleau dans lequel il a grandi et grimpe les branches jusqu’à une bonne hauteur. De là, il crie, appelle, mais aucun adulte ne reviendra plus. Il s’envole à son tour dans la même direction que le précédent. Ce matin-là en 30mn, je vois quatre torcols s’envoler, quatre torcols que je ne retrouverai pas. Ils sont sans doute dans les parages, en lisière de forêt ou branchés sur des arbres de la prairie, mais malgré mes écoutes et mes observations, cette aventure pour moi est terminée.
D’un coup d’ailes, en un coup de vent, je suis passé de l’observation à la solitude. C’en est terminé des torcols pour moi cette année. Cette année oui ! Mais l’année prochaine, reviendront-ils ?