Le blog de Julien Arbez
21/09/2018
Mordorances
Il se pose en douceur. Il interpelle les oiseaux migrateurs, il donne la parole aux dernières fleurs. Il jette sur les vallées un manteau de larmes fines.
L’automne, une nouvelle fois, prend le dessus sur les estives et les bains sauvages. Les arbres n’en finissent plus d’aller et de venir sous les assauts des voiles.
Même le lac est submergé. Sans lumière ni chaleur, rien dans le petit matin n’arrête ces voiles-là. On croyait connaitre le paysage de notre quotidien, on ne le reconnait plus.
Puis le soleil s’en vient caresser les cimes et nos visages. Au sol des taches de lumière apparaissent, et se déplacent lentement. Très lentement. Les dentelles du sous-bois s’accordent à la symphonie des champignons.
Les gentianes, rongées par tout un tas d’insectes et de mycètes, pleurent dans l’oubli.
Mille et une feuilles s’embrasent de concert en voyant passer les vaches retardataires. Tout un tas de petites bêtes essaient de leur faire croire que la saison durera encore.
Ce matin en me promenant dans la forêt magique, j’ai entendu bramer les cerfs les plus pressés. J’ai vu un écureuil descendre d’un arbre et disparaitre derrière un parterre de myrtilles. Et j’ai entendu les douces percussions de la dame aux trois doigts. Le pic tridactyle était là !
Sur un arbre mort d’avoir trop vécu, elle se hissait entre ses bras encore rigides et protecteurs. Et moi, la tête levée, le pied sur les siens, je me suis senti porté par la vie. Il y a des jours comme ça où la mélancolie ose se taire.
Ces soirs passés, j’ai installé ma carcasse et mon affût à proximité d’une gouille bienvenue. Ni les cerfs ni d’autres poilus ne m’ont incité à le faire. Non. Celle qui m’a invité à poser mes valises, c’est une petite plume de rien du tout. et quelques traces ressemblant étrangement à celles de la gélinotte.
Celle que j’ai rencontrée un soir à l’occasion d’une première attente, c’est la belle des bois.
Jamais je n‘avais fait d’affût pour observer la bécasse. Je dois même dire que les rencontres avec elle avaient été plutôt rares, et jamais encore récompensées d’une image volée.
Quelle émotion d’observer pour la toute première fois une scène de vie autre qu’un envol en fanfare ! Mais quelles difficultés aussi de réussir à la photographier dans le gris profond du début de la nuit…
Plusieurs soirs d’affilée, j’ai pu l’observer venir prendre un bain de fraicheur et vermiller çà et là quelques malheureux lombrics. Un premier assaut du flash, et la dame au long bec n’a pas montré de signe d’inquiétude. Un peaufinage des réglages, une laborieuse mise au point, et j’avais le feu vert. Je me souviendrai de ces rencontres. Du bruit des ailes, du bruit de l’eau, du bruit des fous battements mon cœur !
Autre lieu, autre ambiance. Une histoire nocturne encore, d’évasion dans l’invasion.
Une épopée sous les lampadaires, dans le bourdonnement sourd des pyrales en cohorte. Sous chaque luminaire, des centaines de papillons voyageurs arrivés là par mégarde. Leurs aieux ont été transportés enfants dans des buis d’ornement. Des chenilles voyageuses, de l‘Asie à l’Europe, de chez elles à chez nous.
L’écosystème en est bouleversé, et c’est tout un paysage qui risque de changer de visage.
Les buis défoliés s’en remettront-ils ?
Les papillons disparaitront-ils d’inanition lorsque leur restaurateur aura mis la clef sous la porte ?