Le blog de Julien Arbez
11/06/2019
La nyctale
J’ai eu la chance ce printemps de suivre pour la première fois une nichée de chouettes de tengmalm dans une hêtraie sapinière. Me voilà très heureux de vous faire part des moments forts vécus durant plusieurs semaines…
23 avril : Je me trouve au pied de l’arbre abritant la loge de pic noir utilisée il y a deux ans par un couple de nyctales de tengmalm, ces petites chouettes de montagnes discrètes et nocturnes. Comme il y a deux ans, je gratte le tronc au pied de la loge pour savoir si elle est habitée. Ces chouettes sont assez rares et difficiles à localiser, ce serait une sacrée surprise ! Décidément c’est un jour de chance. La petite chouette sort de sa cavité et baisse la tête pour identifier le faiseur de trouble. Cette année comme il y a deux ans, la loge est habitée !
20 mai : Un mois plus tard, et après plusieurs allées et venues dans le bois, je reviens au pied du grand hêtre pour prendre des nouvelles des petites chouettes. Les adultes ne sont plus là, et pour cause ! Les jeunes sont tellement serrés dans la loge qu’ils ont du mal à parvenir chacun en même temps à la fenêtre. A la tombée de la nuit, je sais qu’ils sont au moins trois !
21 mai : Un jeune reste régulièrement à l’entrée du trou, même en plein jour. Je ne vois pas les autres têtes apparaitre, mais je sais qu’elles sont là ! A la tombée de la nuit, un adulte arrive du fond de la forêt, infiniment silencieusement. Il tient dans ses serres un petit campagnol roux et se perche sur une grande branche horizontale à un mètre environ de l’entrée du trou. Il appelle, appelle. Le message est clair : le petit est invité à faire le grand saut.
Je rentre à la nuit noire car je ne discerne plus les ombres mouvantes des oiseaux. Ce soir, j’ai vu un adulte avec une proie ! C’est la première fois que ça m’arrive, je suis heureux, fier, et motivé pour revenir !
22 mai : Quand j’arrive devant la loge, je vois une jeune chouette couleur chocolat pointer son regard endormi. Je m’assieds, j’attends, j’écoute. Ce n’est qu’une demi-heure après que j’entends des cris d’alerte des passereaux alentours. Voilà qui me met la puce à l’oreille. Je me lève, me dirige aussitôt vers les cris, cherche dans les sapins. Elle est là ! La plus grandes des petites chouettes a pris son envol la nuit dernière !
Je tourne autour du sapin, cherche la bonne lumière, le bon angle, le bon moment. Ces chouettes étant assez peu farouches et celle-ci étant encore trop jeune pour voler correctement, mes déplacements sont facilités, nul besoin de me faire discret…
Le soir, je reviens auprès de l’arbre, m’installe au pied de la loge, attends le passage d’un adulte. Bingo ! Au crépuscule, un adulte vient déposer dans la loge une proie que je n’ai pas le temps d’identifier. Puis il vient se poser à quelques mètres à peine, à moins de deux mètres de haut, sur la branche basse d’un sapin rabougri. Il est 21h17. La lumière est tellement faible que la photo est sombre malgré des réglages et un matériel adapté. Mais peu importe ! Le voyage continue !
24 mai : Je suis revenu deux fois retrouver mes petites chouettes de tengmalm. J’ai trouvé un second jeune dans un arbre, mais mal placé pour réussir à le photographier correctement. Il y a donc au moins deux jeunes dehors ! Dans la loge, le regard qui semble être le même m’observe nonchalamment. Il reste encore au moins un individu dedans. Je profite de la belle lumière pour me cacher au pied d’une autre loge, habitée par les pics noirs. Durant une demi-heure je me concentre sur eux, attends avec impatience le nourrissage par les adultes avec succès.
Je me relève pour enfin partir à la recherche des jeunes vus les jours précédents, mais ils bougent pas mal et il est loin d’être évident de poser les yeux sur ces petites boules de plumes. Soudain, mon regard s’arrête à sa hauteur, sur un petit sapin à une dizaine de mètres. Je n’en crois pas mes yeux, pourtant c’est bien réel : Un nouveau jeune est perché là, immobile, juste devant moi ! Je m’approche, tourne autour du tronc, varie les cadrages, me goinfre d’observations. Quelle chance j’ai ! Je vis un rêve.
26 mai : Un jeune est toujours à l’entrée de la loge ; est-il le dernier ou d’autres frères et sœurs attendent-ils plus bas ?
Le temps passe, je me promène en tendant l’oreille. Je suis à l’affût du moindre chant, cri, mouvement. Quand j’entends un pinson s’égosiller assez loin en contrebas, je descends la butte forestière à vive allure. Je me dirige tout droit vers le lieu du litige. Je suis au pied de l’arbre où les oiseaux s’agitent. Je cherche méticuleusement du regard en montant le long du tronc, branches après branches, jusqu’à apercevoir un individu tête en bas, les yeux rivés sur ma tignasse. Chouette ! J’en ai trouvé une ! La lumière est magnifique, l’arbre offre des possibilités de cadrages relativement variées. Je fais plusieurs images, certaines du pied de l’arbre, certaines de plus loin à travers les branchages… quand je découvre qu’une seconde chouette est perchée à ses côtés ! Séance de toilettage, d’endormissement, puis à la tombée de la nuit de papouilles entre les deux frères et sœurs. A la nuit tombante, les jeunes chouettes s’envolent pour un arbre voisin. Elles sont electriques, sans cesse en mouvement. Elles ont cessé leur entretien mutuel et regardent toutes deux dans la même direction. L’adulte vient de se percher sur les branches mortes d’une chandelle et plonge le long du sentier. Un campagnol est peut-être passé à la casserole ! Aussitôt, un jeune le rejoint, l’adulte s’éloigne. Je ne ferai pas d’autres observations ce soir, il est l’heure de rentrer, la tête dans les étoiles. C’est sans aucun doute le moment le plus fort vécu durant ces pérégrinations.
27 mai : Ce jour-là la loge que j’ai l’habitude de visiter avant mes recherches forestières est vide. Le dernier jeune a quitté le nid ! Il est là, branché en face, à 7 ou 8 mètres de haut. Immobile dans les branches, difficile à photographier, j’abandonne l’idée de patienter pour chercher les autres jeunes.
Je n’arrive pas à mettre la main dessus. Je sais qu’ils sont là, car j’ai entendu un pinson s’énerver, mais je ne les vois pas. C’est aussi ça la magie du sauvage. Mais ce jour-là, j’ai la chance immense de découvrir un adulte haut branché dans un grand sapin au large tronc. Il fait très sombre, les conditions sont difficiles. Sur 5 images prises avant l’envol, une seule est nette. Mais une seule c’est déjà beaucoup !
30 mai : Les deux jours précédents, je n’ai pas pu me rendre sur le site. Ce soir, je n’entends ni pinson, ni hululement, rien. Rien ? Si ! je vois un campagnol courir dans le sous-bois enfeuillé. Ce soir je sais que je ne reviendrai pas. Je pars du bois en remerciant silencieusement les chouettes des spectacles qu’elles m’ont offert. J’ai beaucoup appris, bien plus que dans les livres. Cette expérience me servira un jour ou l’autre. Bientôt viendra l’heure du visionnage des images, du tri, du stockage… Mais ça c’est une autre histoire !