Le blog de Julien Arbez
22/09/2021
HISTOIRES AU CREPUSCULE
Début septembre. Les jeunes hiboux grands-ducs ont bien grandi. Voilà maintenant trois mois que les parents les ravitaillent et les voilà maintenant grands comme leurs parents.
Ils naviguent entre les arbres de la grande forêt avoisinante et les parois rocheuses qui les ont vu naitre et grandir. Souvent je les entends mais ne parviens pas à les voir.
Ce n’est que lorsque l’un d’eux se met en mouvement que mes yeux se posent dessus. Leur mimétisme est incroyable, et malgré plusieurs mois d’affût, je me fais encore duper !
Difficile de photographier les oiseaux en mouvement durant la nuit, ou au tout début du jour. La lumière est insuffisante pour éviter le flou.
Mais lorsque les oiseaux ne bougent pas, je tente des prises de vues depuis ma tente d’affût, avec télécommande et trépied pour éviter de bouger.
Cette nuit-là, l’un des deux frères et sœurs et venu se poser sur la corniche rocheuse devant une constellation d’étoiles encore vives.
De jours en jours, les hiboux gagnent en autonomie. Plus les jours diminuent, et moins je parviens à les observer dans de bonnes conditions de lumière. Je sens que la fin des affûts aux grands ducs est proche.
Un beau jour de septembre, je les entends appeler avec insistance leurs parents. Les adultes refuseraient-ils désormais de les ravitailler pour les inciter à s’émanciper ? Je ne le saurai pas. Mais je sais qu’une semaine plus tard, un beau matin, de ma tente je n’entends plus rien. Ni les adultes apporteurs de viande, ni les jeunes affamés. Rien. Ce matin lorsque je démonte mon affût, je sais que c’est la fin de mon histoire avec eux. Mais le début de la leur. Je regarde une dernière fois de la saison la grande falaise au pied de laquelle j’ai passé tellement d’heures. Au-revoir les hiboux ; Et bonne vie.
L’automne arrivant à petit pas, je peux me remettre tranquillement à arpenter les forêts, leurs brumes et leurs ambiances.
Avant de me remettre à guetter des animaux, je fais une sortie dans une tourbière boisée pour voyager un peu sans m’éloigner trop de la maison.
Les arbres morts, tombés au sol comme sur un édredon, sont magnifiques. Ils invitent mousses et fougères à se joindre à la cérémonie.
Main dans la main, la mort et la vie soulignent la beauté du monde.
Dans ces forêts ancestrales dures et tellement douces, les salamandres avancent péniblement le soir venu, sous la pluie, à la recherche d’un partenaire.
C’est la saison des accouplements, avant le sommeil hivernal qui les feront ronfler durant quelques mois. Difficiles à voir parmi les feuilles mortes et les bois décomposés, elles sont pourtant nombreuses à traverser le chemin. Une vingtaine environ.
Ni la pente ni les obstacles ne les arrêtent. Intimement poussées par le besoin de donner vie aux générations futures, elles se cherchent péniblement, puis lorsque la magie permet la rencontre, elles se tournent autour.
Le grand jeu de la séduction est en route. Je n’y comprends pas grand-chose, mais elles connaissent très bien les règles.
A l’abri d’un rocher, sous une souche, sous une grosse pierre du pierrier qui surplombe la forêt, les futures mamans vont partir s’isoler.
Cet hiver, quand la forêt sera blanche, quand le givre me mordra les doigts, penserai-je aux belles salamandres qui dorment sous mes pieds ?
Et bonne hibernation !