Le blog de Julien Arbez
30/09/2019
De l’eau et des feuilles
Petit matin de septembre. Sous les feux du soleil levant, la forêt se réveille. Le brasier s’affaire à donner brillance aux houppiers verts avant d’enflammer le sol devant mes pieds. Là, quelques champignons s’élèvent vers le ciel, portés par le besoin irréductible de libérer leurs semences.
Dans cet univers tout de senteurs vêtu, les myrtilles offrent leurs dernières baies, les euphorbes se teintent des premières couleurs automnales.
Sous les géants aux pieds craquelés, les jeunes prennent la relève en toute discrétion. Point d’ombres gigantesques, point de craquements dans la brise. Mais une obstination démesurée à vouloir gratter le ciel.
Comme des étoiles tombées du ciel, les oxalis constellent le parterre de bois mots et de graines voyageuses.
Légères et vaporeuses, les feuilles froissées par les affres des heures perdues se teintent et s’encoriacent.
Certaines d’entre elles, encore accrochées à leur rameau nourricier, repoussent le moment fatidique et s’adonnent à un espoir perdu. Taches de rousseurs, rides et grains de beauté prennent chaque jour davantage de place sur leur peau vieillie.
Dans l’uni-vert d’un coin de sous-bois, un fraisier sauvage s’est empourpré, pressé de s’endormir sur l’oreiller de cette fin d’été.
Les grandes feuilles de pétasites qui bordent le chemin des rêves dissimulent leurs jambes raides et épaisses. Pas question de lisser le promeneur lorgner sur les orteils inflexibles !
Le squelette lustré d’un arbre appartenant au passé participe à la cérémonie de clôture. J’aime imaginer à l’intérieur de ce corps à l’apparence inerte, les larves de capricornes et autres sirex se croiser dans le ronronnement de leurs grignotages.
La grenouille en balade profite d’un bain de rosée pour prolonger sa randonnée dinatoire. Elle trouvera bien quelques limaces exquises à se mettre sous la dent !
A moins que les fourmis rousses retiennent son attention, terminant leur course folle sur une langue engluée qui les mènera aux abîmes. La forêt est à la fois celle des délices, et celle de l’impitoyable roue qui tourne.
Autre jour, autre lieu, autre ambiance. Nous voilà dans la Bresse des étangs, plus près des épis de maïs que des pives de sapins. Sur le plan d’eau bordé de charmes et de grands hêtres, les canards et les cygnes côtoient les carpes et les tanches.
Dissimulé derrière l’écran de phragmites, le très discret râle d’eau apparait de temps à autre devant l’affût flottant sous lequel je voyage.
Hérons et aigrettes guettent patiemment les poissons en excursion, dans un silence fédérateur. Point de tapage inutile, point d’extravagances gestuelles. Discrétion est gage de repas !
De temps à autre, une masse fend l’eau, quittant les berges pour gagner la mangrove de châtaignes d’eau. L’eau calme ondule alors devant les grandes et blanches moustaches des ragondins nageurs.
Sur leur nid de roseaux entrelacé, d’autres rongeurs s’occupent à faire leur toilette, lisser leur pelage ou soulager leurs démangeaisons.
Le gnome de ces lieux, au regard affûté, à l’attention précise, alterne entre vifs battements d’ailes et immobilité parfaite.
Ce matin comme hier, je suis venu presque exclusivement pour lui. Pour le voir, me rassurer de sa présence ici, pour l’admirer encore et le photographier. Comme les rousseroles que je sais présentes sans réussir à les voir, je joue le jeu de la retenue et de la discrétion.
Je ne tenterai pas d’approcher cet oiseau aux reflets turquoises, j’aurai trop de chances de rencontrer un échec. Non. Ce matin je vais me poster tout près de ses perchoirs favoris, identifiés lors de la sortie de la veille, attendre et attendre encore qu’il veuille bien s’y poser.
Durant les 15 heures que j’aurai passé à l’eau ce week-end, j’aurai eu la chance d’observer le martin-pêcheur à quatre reprises avec une belle proximité.
J’aurai redécouvert sa silhouette, son extrême agilité quand il s’agit d’attraper le petit poisson imprudent, et la magnifique complexité de son plumage irisé.
Cette fois encore, j’ai rêvé les yeux ouverts.