Le blog de Julien Arbez
02/05/2018
Dans l’or des jonquilles
Dans cet article, nos amis les blaireaux seront à l’honneur. Mais avant de nous rapprocher de leurs terriers, jetons un œil sur le printemps, des prés aux forêts en passant par les tourbières…
En quelques jours et beaucoup plus tôt que l’an passé, les arbres ont mis les feuilles et le vert tendre des fayards a inondé les combes, les gorges et les vallées.
La pluie qui s’est décidée à tomber sur un sol asséché par des températures estivales et un infatigable vent invité les amphibiens à sortir. Sur la route, immobile comme figée par l’incompréhension, une salamandre tachetée est passée entre les roues de ma voiture.
Je m’arrête et la déplace sur le bas-côté pour qu’elle ne finisse pas comme ses deux voisines malchanceuses rencontrées plus haut… Le ruisseau est en contre-bas, elle aura vite fait de le regagner pour y déposer ses larves.
Au pied d’un bosquet d’épicéas, une drôle de morille a vu le jour. Avec un pied et deux chapeaux, celle-là je ne pouvais pas la louper !
Rescapé de la période de chasse puis d’un hiver long et enneigé, un faisan piète non loin de la route quelques herbes tendres. Il sautille en se déplaçant, trahi par un pied abîmé.
Rescapé mais pas indemne ! Tout de même, je suis fasciné par les formidables capacités de la faune à vivre et survivre.
Monsieur le coq chantera bien quelques chansons douces pour ses dames, mais Monsieur semble bien seul dans l’immensité de cette vallée jurassienne. Il risque bien de terminer sa vie célibataire.
Près de la rivière, dans la tourbière qui s’épaissit chaque année de 1mm environ depuis près de 10000 ans, je pars à la recherche de mes chères vipères péliades. Je saute un petit ruisseau et atterrit juste à côté de l’une d’entre elles qui prenait un bain de soleil. Affolée, elle part à gauche puis à droite avant de se réfugier sous un gros touradon de laiche, ces fameuses boules hautes que l’on voit dans les tourbières et qui ressemblent à des têtes de simpsons.
Dehors il fait à peine 12 degrés et les reptiles ont besoin de chaleur pour réchauffer leur propre corps qui dépend de la température extérieure. Ce sont des poïkilothermes, ou animaux à sang froid. Elle va donc sans doute bientôt ressortir. Parmi les herbes folles du touradon, je vois sa tête réapparaitre. Elle est petite par rapport à son corps qui semble à peine plus épais. J’ai de la chance, c’est une des rares vipères mélaniques que l’on peut trouver dans le département.
Après vérification de la taille et de la forme des écailles, il s’avèrera que c’ets la même vipère que celle rencontrée il y a plusieurs semaines à 2 bonnes centaines de mètres de là. Comme on se retrouve ! A plus tard si tu le veux bien !
Et je vous l’avais promis, nous y voici. Il est 19h, je suis installé devant un terrier de blaireaux. Le même terrier que celui que j’affûtais l’an passé et devant lequel j’ai passé de longs moments d’attente, en soirée, à attendre la sortie de ses habitants. Ce soir, pour mon premier affût de la saison, la joie ne se fera pas attendre.
A peine installé devant le terrier derrière mon trépied et mon appareil photo, que pointe un museau. Il fait encore bien jour car même si le ciel est couvert, le soleil ne se couchera que dans une heure et demie environ.
Une chance à saisir pour faire des images suffisamment lumineuses, un vrai défi dans l’observation de cette espèce.
Encore quelques coups de museau en l’air à renifler l’air et voilà notre blaireau qui s’assied devant sa porte d’entrée et commence une longue et méticuleuse séance de grattage et de toilettage. Bientôt un second blaireau le rejoint, puis disparait assez vite dans le sous-bois sombre jonché de bois morts.
Aucune partie n’est laissée de côté, du dos aux fesses en passant par les flancs et le cou. Je réalise le bonheur que je vis d’observer ces animaux que l’on croise si peu souvent (vivants…), et qui me laissent entrer dans leur intimité sauvage.
Vingt minutes environ passeront avant que le blaireau quitte sa demeure au trot, longeant le pré tacheté de jonquilles épanouies. Je reste sur place jusqu’à la nuit et quitte mon affût sur la pointe des pieds, évitant les feuilles mortes et les grosses herbes sèches.
Le soir dans mon lit, une image me turlupine : celle que j’aimerais faire, d’un blaireau dans un champs de jonquilles, partant en maraude dans les couleurs du printemps. Avec un peu de chance si je les revois, je reconnaitrai les passages réguliers, les horaires auxquels ils passent, et je pourrai tenter ma photo.
Le lendemain, 1 heure plus tard environ que la veille, revoilà une tête rayée qui sort de terre. Ils sont là ! Même cinéma à la même adresse. Mais cette fois, je réussis mes premières images avec un fond de jonquilles, ces belles et grandes fleurs typiques du coin et qui ne tarderont pas à faner. Il me reste beaucoup de travail et de longues heures devant moi, mais j’ai déjà un peu réussi !
Les jours passent et les observations se multiplient. J’apprends à reconnaitre les chemins empruntés, les habitudes des plantigrades, les lieux où me cacher. Lorsque le vent vient de l’Ouest, je me cache ici. Quand il vient du Sud, je me mets plutôt là.
Car si la vue du blaireau laisse à désirer (je suis immobile sans filet de camouflage), son flair fait des prouesses et aucune observation n’est possible avec le vent dans le dos. Petit à petit, de soirs en soirs, je réalise des images avec des angles de vue différents, en tentant au maximum de privilégier la présence de jonquilles qui apportent de la couleur et habillent joliment mes images.
J’ai pu observer de chouettes comportements comme ce soir-là ou l’un des blaireaux a passé près de 30 minutes à arracher de la mousse et des herbes au sol pour en faire une boule et l’apporter à reculons à son terrier. J’ai eu la chance aussi de voir de belles séances d’entretien du terrier et de grattages dans le sol à la recherche de nourriture. Il y a 15 jours encore je n’aurais même pas espéré voir tout ça dans de si bonnes conditions.
Bien sûr, j’ai manqué des images dans des ambiances qui me plaisaient beaucoup. mais je n’ai pas le droit de m’en plaindre tant les moments offerts ont été grandioses. Mon cœur a battu très fort, mes mains ont tremblé, mon esprit s’est envolé.
La blaireau-thérapie sur moi a très bien fonctionné !