Le blog de Julien Arbez

15/06/2016

Pic noir, espoir !

22 Avril 2016. Mes pas s’enfoncent dans la neige. Plus bas, sur les parties de la combe bien exposées, le duvet blanc a cédé la place aux premiers crocus de l’année. Ce matin j’ai eu la surprise d’apercevoir deux gelinottes, mais je n’ai pas revu les biches observées il y a quelques jours.

biches foret du massacre

Je marche en forêt entre les grands hêtres et leurs petits rejetons, les épicéas et les érables. Difficile d’avancer dans cette végétation arbustive que les feuilles rendront impénétrables d’ici quelques jours.

Soudain, « Toc toc toc » !  J’entends un tambourinage. Pas loin de moi, à quelques dizaines de mètres en contrebas. Sans doute un pic noir. Je sais les pics noirs trop farouches pour approcher à la course. J’écoute, je cherche, j’observe les branches hautes, les troncs. Puis j’avance de quelques pas. Je l’entends à nouveau. Je cherche encore, scrute le couvert, m’apprête à relever le moindre mouvement. Rien. Mais il est là. Je refais quelques pas et un bruit lourd me surprend. Au-dessus de ma tête ! Il était là sur ce grand fayard. Juste là ! Je le cherchais devant moi, il était simplement de l’autre côté du tronc et ne m’a pas vu arriver.

Je reprends ma route, léger et abasourdi à la fois. Je jette un œil derrière moi sur le grand hêtre clair. A 8 ou 10 mètres du sol, loin des premières branches, il y a un trou en forme d’œuf. C’est une loge ! A cette saison, les pics noirs ont entamé la période de reproduction. Je comprends que le tambourinage au-dessus de ma tête signifie la construction de la future chambre à coucher. Une chance ! Je sors aussitôt le filet de camouflage de mon sac à dos et le tends entre deux piquets plantés dans la neige et le sol maigre. Mais le pic noir est un paranoïaque… Je reviens le jour suivant installer un second filet de camouflage par-dessus le premier, pour disparaitre derrière ma cachette. J’installe un autre affût à quelques mètres, côté sud, pour avoir l’ouverture de la loge sur le côté du tronc. Avec encore deux filets de camouflage l’un sur l’autre, maintenus ensemble avec de petites pinces à linge, et tendus entre deux piquets de métal amenés pour l’occasion. Des calles en bois placées sous mon siège me permettent de ne pas basculer en arrière.

Alors commence l’attente.

pic noir reproduction jura

Je ne le sais pas encore, mais c’est parti pour des heures et des heures de patience et d’immobilité. Un mois et demi durant lesquels les affûts se succèdent, sous le grésil, la neige, la pluie, parfois le soleil. 44 heures de contemplation, parfois de bataille contre les crampes et les onglées… Voici le récit en quelques images de la reproduction d’un (courageux !) couple de pics noirs dans une forêt d’altitude du Jura.

pic noir reproduction jura

pic noir reproduction jura

24 Avril 2016 : la femelle, reconnaissable à sa nuque rouge, apparait sur le tronc. Elle se présente à la loge en poussant un cri plaintif. Le mâle montre sa tête à l’intérieur du trou, et cède sa place immédiatement à la femelle qui disparait tête la première… Ca y est ! La ponte a eu lieu et les adultes se relayent.

pic noir reproduction jura

Les visiteurs en quête d’un logement vacant se demandent s’ils n’ont pas trouvé la maison de leur rêve, jusqu’à ce qu’ils regardent à l’intérieur pour voir que le logement est occupé ! Ce grimpereau devra trouver une autre cavité.

pic noir reproduction jura

Toutes les deux à trois heures, les oiseaux cèdent leur place l’un à l’autre. L’attente est longue entre les échanges ! Et le relai se fait très rapidement, en quelques secondes, 10 secondes tout au plus. Lorsque la femelle arrive, elle prévient souvent d’un de ces cris plaintifs et je sais que le moment est imminent. Mais lorsque c’est le mâle, seul le bruit lourd de son vol me parvient. Autant dire qu’il faut se tenir prêt à déclencher pour ne pas louper l’instant sous peine d’avoir à patienter encore de longs moments !

pic noir reproduction jura

pic noir reproduction jura

pic noir reproduction jura

Ce matin du 26 Avril, les gants et le bonnet n’étaient pas de trop. Dur dur d’appuyer sur le bouton !

pic noir reproduction jura

pic noir reproduction jura

17 Mai : Les affûts se sont succédés dans la forêt du Massacre, désormais la neige a fondu à cet endroit et les arbres voient leurs feuilles s’épanouir.

pic noir reproduction jura

Depuis quelques jours, j’entends les jeunes se manifester quand l’un des deux adultes revient au nid le ventre plein de larves cueillies dans les arbres morts. Les œufs ont bien éclos malgré les difficiles conditions météo. Impressionnants de courage et d’efficacité ce joli couple !

pic noir reproduction jura

Désormais les oisillons restent seuls dans la cavité, ravitaillés toutes les heures et demi par le père et la mère. Jour après jour ils se font de plus en plus bruyants, mais uniquement à l’approche des parents. Parfois, j’entends un léger tambourinage dans la cavité comme pour dire « bon, ça vient ou quoi ? ». Ou peut-être est-ce simplement une manie de tambouriner, tambouriner encore… J’ai déplacé d’un mètre l’un des affûts, pour habiller le premier plan d’un peu de verdure…

pic noir reproduction jura

Le ravitaillement continue toute la journée, de la même manière à chaque fois : l’adulte se pose exactement sur la même partie du tronc, régurgite la nourriture à ses jeunes, disparait dans le trou la tête la première et finit par en ressortir le bec plein des fientes des bambins. C’est qu’il convient d’éloigner les crottes pour ne pas risquer d’attirer les prédateurs ! Ou peut-être a-t-on à faire un couple manique de la propreté ?

pic noir reproduction jura

pic noir reproduction jura

 27 Mai : Les oisillons pointent la tête à l’entrée de la loge. Ils sont déjà bien grands ! Ils projettent en avant leur bec devenu long, si bien que même les parents parfois sont obligés de reculer !

pic noir reproduction jura

pic noir reproduction jura

1er Juin : Je ne les crois que deux, puis j’en vois au moins trois. Trois jeunes pics tout noirs, avec déjà une tache rouge en guise de casque ! D’ici quelques jours ils devraient se montrer davantage à la fenêtre. Je reviendrai dans quelques jours voir leurs bouilles d’affamés !

pic noir reproduction jura

pic noir reproduction jura

5 Juin : Après une heure d’affût, le mâle fait un bref atterrissage contre l’écorce blanche, puis repart aussitôt. Aucun cri dans la loge, aucun tambourinage. C’est bizarre, j’espère qu’il ne leur est rien arrivé… J’attends jusqu’à midi et demi. En 6 heures, je n’ai revu personne. J’ai simplement entendu quelques cris au loin, mais le grand hêtre est resté silencieux.

pic noir reproduction jura

Le lendemain toujours rien. Cette fois c’est sûr, il n’y a plus âme qui vive dans la loge. J’ai peur qu’un prédateur soit passé par là ou que la pluie ait eu raison des jeunes. Je ne comprends pas, moi qui pensais voir les jeunes encore une bonne semaine dans le nid. Je me suis attaché à ces animaux, et le fait d’imaginer le pire me rend triste.

Deux amis naturalistes me convainquent par la suite que les jeunes ont quitté le nid et sont en cours d’émancipation. Je n’ai pas la certitude de cela, je ne l’aurai jamais. Mais je veux y croire. Ces pics là sont des battants !

pic noir reproduction jura